Ce modèle de vase fut créé à une période précoce de la Verrerie artistique (1930-1964). Les sources dont nous disposons sont des catalogues de la Verrerie de St-Prex, certains inédits, tels que les albums noirs munis de photographies de vases, vraisemblablement utilisés par les représentants de 1931 à 1935 (Verreries de St-Prex, 1931, no 3 H 30 cm). Il serra écarté au profit du modèle no 160 et n’apparaît pas dans le premier catalogue publié en 1935. On le retrouve sur la photographie du stand de la Verrerie de St-Prex S.A. du Comptoir suisse de 1933 (GOP, 1933). D’après ces sources, ce modèle fut réalisé entre 1931 et 1935. La critique récente ne le mentionne pas.
En revanche, en 1933 déjà, le céramiste Paul Ami Bonifas consacre un article à la "verrerie" où les vases réalisés sous sa direction en 1931 illustrent son propos (Bonifas, 1933, 18). Le rapport avec Bonifas mérite d’être mis en évidence. Dans la monographie qui lui est consacrée, il évoque ses souvenirs de l’année 1931, notamment son engagement auprès de la Verrerie de St-Prex: "En vue d’un Salon fédéral des Beaux-Arts et des arts appliqués qui allait se tenir à Genève en 1931, la Société anonyme de la Verrerie de St-Prex me demanda de dessiner les modèles qu’elle se proposait de présenter au jury et de présider à leur fabrication" (Exposition nationale d’art appliqué, 1931; Beaujon, 1961, 75; Lecoultre-Brejnik & Musée Ariana, 1997, 46 et Baumgartner, 2018, 69). Ce lien direct avec le créateur du design est conservé grâce à certaines œuvres, achetées lors de l’exposition. Il y a d’abord un lot de douze vases acquis par le musée industriel de Lausanne (Kulling, 2014, 48-53), lot aujourd’hui réparti entre le mudac et le Musée Historique de Lausanne, dont la première pièce est cataloguée dans l’inventaire des acquisitions avec la mention: "d’après Bonifas", puis la pièce choisie par le Musée Ariana à Genève. Trois des vases exposés à Genève, les modèles "carafe col long" ainsi que les modèles 138 et 164 figurent également dans un album photographique d’œuvres, réalisées et compilées par Bonifas en vue d’une rétrospective prévue pour 1963 au Musée Rath à Genève. Jointe à l’album, une liste commentée donne quelques précisions: "[C]es trois pièces, avec une trentaine d’autres, furent dessinées pour [la] Manufacture de St-Prex en 1931 et exposées au Salon Fédéral des Beaux-Arts à Genève en 1931". Nous pouvons donc attribuer cette "trentaine" à Bonifas (Walther, 2025, 36-41).
À Saint-Prex, le céramiste évoque également sa collaboration avec un verrier italien, formé à Murano (Beaujon, 1961, 75). Notre recherche s’oriente alors vers l’art verrier italien et plus particulièrement vénitien. Une œuvre de Napoleone Martinuzzi (1892–1977), présentée à la Biennale de Monza en 1927, semble avoir inspiré le modèle proposé ici (Barovier 2013, 126, no 3147 et Barovier/Sonego 2024, 263, no 3089). Pour sa collaboration avec le céramiste, le verrier venu travailler à Saint-Prex s’inspire des dernières formes et techniques qu’il a connues dans son quotidien à Venise, comme l'emploi du moule à côtes, visible dans cette pièce.
Par rapport à sa source, Bonifas se permet un petit changement: au lieu de faire reposer les deux anses sur le haut et le bas du col, elles relient le col à la panse, avec une association anthropomorphe humoristique.