Vase bleu, blanc et noir ("à effet de grès")

Verre

Ce modèle de vase (138) fut créé à une période précoce de la Verrerie artistique (1930-1964). Les sources dont nous disposons sont des catalogues de la Verrerie de St-Prex, certains inédits, tels que les albums noirs munis de photographies de vases, vraisemblablement utilisés par les représentants de 1931 à 1935. Il existe deux versions de la même forme de base : le no 59 (H 20 cm) à paraison lisse et le no 175 (H 13 cm) soufflé au moule optique, comme le laissent deviner les cannelures (Verreries de St-Prex, 1931). Il ne sera plus proposé dans le catalogue de 1951. Ce modèle fait également partie de l’offre du premier catalogue de vente imprimé de 1935 (Verreries de St-Prex, 1935, no 138, 2 et 14 et 18), où il est décliné en verre vert et argent craquelé, ou gravé d’une scène antique.
Il figure ensuite dans un répertoire non publié, qui, basé sur les numéros d’inventaire des catalogues de 1935 à 1960, dresse la liste de tous les modèles de la production artistique (Verreries de St-Prex, 1964, H 13 et 20 cm). Il ne sera plus proposé dans le catalogue de 1951 (Verreries de St-Prex, 1951). D’après les sources, ce modèle fut élaboré dès 1931 et produit jusqu’en 1951 environ.
Dans la critique récente, il est reproduit chez Dreyfus (Dreyfus, 1981, 14) et Ball-Spiess (Ball-Spiess et al., 1986, 138, AA 14), selon laquelle le vase a été "soufflé d’après des projets de Paul Bonifas". Un catalogue d’exposition confirme cette attribution (Biffi Gentili & Ball-Spiess, 1994, 165 et ill. 27). En 1933, le céramiste Paul Ami Bonifas consacre en effet un article à la "verrerie" où les vases réalisés sous sa direction en 1931, dont celui-ci, illustrent son propos (Bonifas, 1933, 18).
Le rapport avec Bonifas mérite d’être mis en évidence. Dans la monographie qui lui est consacrée, il évoque ses souvenirs de l’année 1931, notamment son engagement auprès de la Verrerie de St-Prex : "En vue d’un Salon fédéral des Beaux-Arts et des arts appliqués qui allait se tenir à Genève en 1931, la Société anonyme de la Verrerie de St-Prex me demanda de dessiner les modèles qu’elle se proposait de présenter au jury et de présider à leur fabrication" (Exposition nationale d’art appliqué, 1931; Beaujon, 1961, 75; Lecoultre-Brejnik & Musée Ariana, 1997, 46 et Baumgartner, 2018, 69).
Ce lien direct avec le créateur du design est conservé grâce à certaines œuvres, acquises lors de l’exposition. Il y a d’abord un lot de douze vases achetés par le Musée industriel de Lausanne (Kulling, 2014, 48-53), lot aujourd’hui réparti entre le mudac et le Musée Historique de Lausanne, dont la première pièce est cataloguée dans l’inventaire des acquisitions avec la mention: "d’après Bonifas", puis la pièce choisie par le Musée Ariana à Genève. Trois des vases exposés, les modèles "carafe col long" ainsi que les modèles 138 et 164 figurent également dans un album photographique d’œuvres, réalisées et compilées par Bonifas en vue d’une rétrospective prévue pour 1963 au Musée Rath à Genève. Jointe à l’album, une liste commentée donne quelques précisions: "[C]es trois pièces, avec une trentaine d’autres, furent dessinées pour [la] Manufacture de St-Prex en 1931 et exposées au Salon Fédéral des Beaux-Arts à Genève en 1931". Nous pouvons donc attribuer cette "trentaine" à Bonifas (Walther, 2025, 36-41). En outre, une photographie du stand de la Verrerie de St-Prex au Comptoir suisse de 1931 permet d’apprécier la vaste gamme des modèles qui illustrent aussi le catalogue utilisé par les représentants (Greppin, 1931; Verreries de St-Prex, 1931).
À la recherche de correspondances formelles, notons d’abord que le catalogue d’exposition Bonifas, céramiste du purisme présente une œuvre proche de ce vase (Lecoultre-Brejnik & Musée Ariana, 1997, 133, no 65). Par ailleurs, cette forme de vase, de type pyxide, est déjà connue à l’époque romaine et à la Renaissance. Un vase du début du XVIe, créé à Murano et orné des armoiries de la famille Tiepolo présente une forme identique (Ratti & Marmori, 1999, 56 et couverture).
En outre, les créations de Murano, montrées entre autres à Paris, Monza, Leipzig et Amsterdam dès les années 1920 et 1930, manifestent l’effervescence de l’art verrier. Ainsi, le céramiste Bonifas marie les aspects du design puriste au savoir-faire verrier contemporain.

Sous la base, le vase présenté ici présente le timbre doré, gravé à l'acide, typique des 1931-1935. Il pourrait être le fruit d’une collaboration entre Bonifas et le verrier vénitien. La coloration à chaud sans fusion ainsi que la surface irisée semblent étayer cette hypothèse. A posteriori, il a été muni de l'étiquette dorée qui prendra le relais du timbre dès 1935.