Ce vitrail fait partie des trente-sept panneaux connus provenant du cloître du monastère cistercien de Tänikon, en Thurgovie. Bien que l’ensemble illustre des épisodes de la vie de la Vierge et de la Passion du Christ, reléguant les armoiries des donateurs à une place secondaire, le présent vitrail s’en distingue en accordant une place centrale à l’écu du commanditaire, tout comme la verrière de 1587 avec la Vierge à l’Enfant et saint Christophe encadrant les armoiries de l’abbé de Wettingen Christoph I Silberisen (inv. LM-19844), aujourd’hui conservée au Musée national suisse.
Le cloître du monastère cistercien de Tänikon, bâti vers 1508, est composé de vingt-deux fenêtres en plein cintre. Entre 1558 et 1610, elles sont dotées en plusieurs étapes d’un cycle de vitraux financé par une trentaine de donateurs. Cette commande, qui est l’une des plus importantes pour le vitrail en terre thurgovienne, a été initiée par l’abbesse Sophia vom Grüth (en fonction entre 1550-1579) qui est parvenue à rassembler de nombreux donateurs, parmi lesquels sa propre famille, les parents des conventuelles résidant à Tänikon (Zehnder, 1992, p. 98), les monastères voisins et certaines familles aristocratiques de la région. La première série de vitraux, vers 1558-1559, comporte une vingtaine de panneaux, dont seize portent le monogramme du peintre verrier zurichois Niklaus Bluntschli (avant 1525-1605) et un celui de Jos Murer (1530-1580). Vers 1563-1565, au moins cinq panneaux rejoignent le cloître, dont l’un d’entre eux est signé par le peintre verrier de Bremgarten Hans Füchslin (avant 1558-après 1586). Enfin, entre 1585 et 1610, onze autres panneaux ont été offerts. Par la suite, les dons de vitraux ne sont plus destinés au cloître, mais à d’autres parties du monastère, telles que le réfectoire (Boesch, 1943, p. 16 et 66 ; Keller & Kaufmann, 2022, p. 23).
Bien que les vitraux du cloître aient été donnés sur une longue durée et proviennent de divers donateurs et ateliers de peintres verriers, une cohérence de style, de composition et d’iconographie a été assurée par les abbesses qui se sont succédé à la tête de la commande, notamment par le choix des scènes représentées qui s’articulent autour de la vie du Christ, laissant aux armoiries des commanditaires une place secondaire.
Le présent panneau a été donné par Arbogast von Andlau (1550-1612), chevalier et commandeur de l’Ordre de Saint-Jean de Tobel en Thurgovie, issu d’une famille originaire d’Alsace ayant diverses possessions en Suisse (Christ, 2020). La fin de l’inscription, qui comportait sans doute la date de la donation, est perdue. Un conflit autour de la reconnaissance de von Andlau en tant que commandeur de l’Ordre ayant surgit dans les années 1590 et n’ayant été réglé que vers 1599, le panneau peut être daté vers 1590 (Boesch, 1943, p. 60). La place centrale des armoiries du donateur couplées à celles de l’Ordre de Saint-Jean, l’inscription soulignant son rôle de chevalier ou encore la figure de saint Jean-Baptiste qui apparaît en tant que saint patron de l’Ordre, sont autant d’éléments qui peuvent être interprétés à la lumière de ce contexte et de cette recherche de légitimité de la part du commanditaire.
Au vu de cette datation, la verrière pourrait appartenir à la série des onze vitraux arrivés au cloître après la mort de Sophia vom Grüth, sous sa coadjutrice Barbara von Hertenstein (Zehnder, 1992, p. 98). Bien que le vitrail ne soit pas signé, sa date et son style permettent de le rapprocher des oeuvres de l’entourage du peintre verrier zurichois Christoph Murer (1558-1614), fils de Jos Murer auquel sont attribués quatre panneaux du cloître Tänikon réalisés entre 1559 et 1565 (Boesch, 1943, p. 60 ; Zehnder, 1992, p. 98). Le vitrail de 1587, de composition similaire (inv. LM-19844), mentionné ci-dessus présente des similitudes de style et de composition avec le présent vitrail. Le peintre verrier non identifié pourrait ainsi également être rapproché de Murer.*
Pour figurer la partie droite avec l’Incrédulité de saint Thomas*, le peintre verrier s’est inspiré de l’illustration issue du cycle de gravures sur bois très répandu d’Albrecht Dürer représentant la “Petite Passion” (1508-1511) (Boesch, 1943, p. 6-7).
Ce panneau provient de la collection constituée par le marchand de soie de Constance Johann Nikolaus Vincent (1785-1865) de 1816 jusqu’à sa mort. Vendus au collectionneur en 1832 par l’abbesse Maria Johanna Baptista Rutz (en fonction entre 1827-1848), les vitraux de Tänikon sont restés groupés jusqu’en 1890. Ce n’est qu’à cette date, lors de la mise aux enchères de la collection Vincent, qu’ils ont été dispersés (Keller, 2022, p. 43 et suivantes ; Volkart & Elser, 2022, p. 79). Six panneaux se trouvent aujourd’hui au Musée Ariana à Genève, tandis que les autres sont conservés dans diverses institutions, telles que le Musée national suisse, le Musée historique de Thurgovie, le Musée régional de Bade à Karlsruhe, le Musée national germanique à Nuremberg, le Musée Heylshof à Worms, ou encore le Musée historique de Lucerne.
Cité dans:
Rahn, 1890, p. 200, n° 88.
cat. 1896, p. 154, n° 1601.
Sidler, 1905, p. 102, n° 63.
Deonna, 1938, p. 11, n° 16.
Boesch, 1943, p. 59-60, n° 39.
Zehnder, 1992, p. 25, 95–105, n° 39.
Keller, 2022, p. 63, n° 63.
Keller & Kaufmann, 2022, p. 23, n° 39.
Volkart & Elser, 2022, p. 79-80, p. 113, n° 39.